Cameroun, Histoire: La prophétie d'avril 56 de Félix Moumié
CAMEROUN::POINT DE VUE
Le 21 avril 1956, de Douala, le président Félix-Roland Moumié, pour le Bureau Politique de l’UPC, écrit à Mlle Claude Gérard[1]. Il joint à sa correspondance un numéro de La Voix du Cameroun pour qu’elle le retransmette aux combattants de l’Armée de Libération Algérienne (A.L.N.). « Nous espérons, écrit Moumié, qu’ils seront heureux de voir que leurs frères du Kamerun ne les oublient pas dans leur lutte.»[2] Dans sa missive, Moumié demande à Mlle Claude Gérard - il dit savoir qu’elle est devenue une kamerunaise - d’être l’interprète du mouvement nationaliste auprès des maquisards algériens, à l’effet qu’ils leur fassent parvenir régulièrementLa Voix du Peuple, leur journal.
Tout en se félicitant de la bataille menée par Mlle Claude Gérard pour le limogeage de Roland Pré, Moumié émet des réserves quant au règlement de la question kamerunaise. Pour lui, seul le réalisme de Pierre Messmer, au vu de l’ampleur de la tâche qui l’attend, peut déboucher sur un règlement. Moumié promet expédier à Mademoiselle Claude Gérard, pour publication éventuelle, un document du bureau politique de grande portée historique contenant « des propositions concrètes » destinées à dénouer la crise kamerunaise. Il précise que le peuple kamerunais attache du prix à ce document. Concluant sa lettre, il prophétise : « Si en dépit de ces propositions le Gouvernement français s’entêtait à faire comme Roland Pré, il aura crée lui-même un foyer d’incendie en Afrique Noire et ce sont nos deux peuples qui y paieront de leur vie. »[3] .
ENTÊTEMENT DE PIERRE MESMER
Le 09 juin 1956, est crée le Mouvement d’Action Nationale Camerounaise (MANC) dans le but de fédérer les personnalités favorables à un programme minimum axé autour de : l’indépendance, l’unification des deux kamerun, la libération des prisonniers politiques et l’annulation du décret de juillet 1955 bannissant l’UPC. Soppo Priso, qui en est la tête de proue, anime le mouvement tout en faisant des clins d’œil à l’administration.
Le 23 juin, le vote de la loi-cadre Deferre intervient et institue une assemblée législative dans les colonies françaises. En dépit de son statut (Etat sous Tutelle), le Kamerun est concerné. Soppo Priso parcoure le pays. Ses meetings attirent les foules.
En juillet 1956, comme prophétisé, Pierre Messmer s’entête. Son bras droit, Maurice Delaunay, brille par ses actes de provocation[4] : il envoie, entre autres, un commando saboter le bureau de l’UPC à Bamenda.
Le gouvernement français adopte toutefois une position conciliante pour certains points du programme minimum tout en maintenant l’interdiction de l’UPC. Le 13 août 1956, Gaston Deferre, Ministre des colonies, envoie à Messmer des instructions où il assimile le MANC à l’UPC etrecommande au Haut Commissaire de faire tout pour saper le mouvement : « C’est un courant fort qui ne doit pas exister et nous ne pouvons réussir à réaliser nos projets que si nous pouvons espérer une division entre les personnalités de ce mouvement qui y font bloc », précise la note.
Peu après, les rats quittent le navire : le BDC de Mbida et l’USC d’Okala lâchent le MANC.
EMBRASEMENT EN PAYS BASSA
Le deuxième congrès du MANC à Dibombari, tenu du 3 au 4 novembre 1956, réaffirme le programme minimum et demande une amnistie pour les émeutiers de 1955. Le 8 novembre, le gouvernement français dissout l’Assemblée, repousse les élections prévues pour le 18 novembre au 23 décembre 1956 et retarde la loi d’amnistie promise. Quelques jours plus tard, le 19 novembre, Um Nyobé, qui pressentait déjà le renoncement de Paul Soppo Priso, convoque une « rencontre nationale » des cadres du parti à Makaï pour les 2 et 3 décembre. Avant cette date, Soppo Priso avait convoqué un congrès extraordinaire qui faisait table rase du programme minimum et qui décidait de participer aux élections.
En réaction à cette trahison, la « rencontre nationale » des cadres de l’UPC adopte le boycott des élections et l’exécution du « programme 56 en six points », avec notamment l’ « isolement et la dénonciation pertinente » des valets et mercenaires du colonialisme qui favorisaient la politique des « oppositions africaines ».
Le deuxième congrès de la JDC tenu à Kumba du 7 au 9 décembre réaffirme le boycott des élections. Dans le Sud Kamerun, l’explosion prophétisée par Moumié a lieu dès le 18 décembre : la Sanaga Maritime et le Nyong et So’o s’embrasent. Malheureusement, l’exploitation opérationnelle du renseignement par les services secrets coloniaux plombe les ailes du commando qui devait opérer à l’Ouest-Kamerun, notamment en arrêtant la majorité de ses membres. Toutefois, le rebondissement de la crise Baham donne l’occasion à Martin Singap et Pierre Simo d’y déclencher l’insurrection le 10 octobre 1957. L’offensive généralisée de fin décembre embrasera toute la région et Français et Kamerunais en pâtiront.
[1] Claude Gérard est une résistance française. Prisonnière de la Gestapo nazie, elle a la vie sauve de justesse à la libération de Limoges (France). Elle participe à l’action anticolonialiste dès 1948. Pour plus d’informations, voir son livre : « Les pionniers de l’indépendance », Editions Intercontinents, 1975.
[2] ANY, APA 11537, Lettre de Félix-RolandMoumié à Mlle Claude Gérard, Douala, le 21 avril 1956.
[3] Ibid.
[4] Lire Jacob Tatsitsa, « UPC, tensions sociales et guerre révolutionnaire dans la subdivision de Mbouda », Université de Yaoundé I, Mémoire de Master, 1997.
NB:(Texte inédit daté du 1er novembre 2007)
Tout en se félicitant de la bataille menée par Mlle Claude Gérard pour le limogeage de Roland Pré, Moumié émet des réserves quant au règlement de la question kamerunaise. Pour lui, seul le réalisme de Pierre Messmer, au vu de l’ampleur de la tâche qui l’attend, peut déboucher sur un règlement. Moumié promet expédier à Mademoiselle Claude Gérard, pour publication éventuelle, un document du bureau politique de grande portée historique contenant « des propositions concrètes » destinées à dénouer la crise kamerunaise. Il précise que le peuple kamerunais attache du prix à ce document. Concluant sa lettre, il prophétise : « Si en dépit de ces propositions le Gouvernement français s’entêtait à faire comme Roland Pré, il aura crée lui-même un foyer d’incendie en Afrique Noire et ce sont nos deux peuples qui y paieront de leur vie. »[3] .
ENTÊTEMENT DE PIERRE MESMER
Le 09 juin 1956, est crée le Mouvement d’Action Nationale Camerounaise (MANC) dans le but de fédérer les personnalités favorables à un programme minimum axé autour de : l’indépendance, l’unification des deux kamerun, la libération des prisonniers politiques et l’annulation du décret de juillet 1955 bannissant l’UPC. Soppo Priso, qui en est la tête de proue, anime le mouvement tout en faisant des clins d’œil à l’administration.
Le 23 juin, le vote de la loi-cadre Deferre intervient et institue une assemblée législative dans les colonies françaises. En dépit de son statut (Etat sous Tutelle), le Kamerun est concerné. Soppo Priso parcoure le pays. Ses meetings attirent les foules.
En juillet 1956, comme prophétisé, Pierre Messmer s’entête. Son bras droit, Maurice Delaunay, brille par ses actes de provocation[4] : il envoie, entre autres, un commando saboter le bureau de l’UPC à Bamenda.
Le gouvernement français adopte toutefois une position conciliante pour certains points du programme minimum tout en maintenant l’interdiction de l’UPC. Le 13 août 1956, Gaston Deferre, Ministre des colonies, envoie à Messmer des instructions où il assimile le MANC à l’UPC etrecommande au Haut Commissaire de faire tout pour saper le mouvement : « C’est un courant fort qui ne doit pas exister et nous ne pouvons réussir à réaliser nos projets que si nous pouvons espérer une division entre les personnalités de ce mouvement qui y font bloc », précise la note.
Peu après, les rats quittent le navire : le BDC de Mbida et l’USC d’Okala lâchent le MANC.
EMBRASEMENT EN PAYS BASSA
Le deuxième congrès du MANC à Dibombari, tenu du 3 au 4 novembre 1956, réaffirme le programme minimum et demande une amnistie pour les émeutiers de 1955. Le 8 novembre, le gouvernement français dissout l’Assemblée, repousse les élections prévues pour le 18 novembre au 23 décembre 1956 et retarde la loi d’amnistie promise. Quelques jours plus tard, le 19 novembre, Um Nyobé, qui pressentait déjà le renoncement de Paul Soppo Priso, convoque une « rencontre nationale » des cadres du parti à Makaï pour les 2 et 3 décembre. Avant cette date, Soppo Priso avait convoqué un congrès extraordinaire qui faisait table rase du programme minimum et qui décidait de participer aux élections.
En réaction à cette trahison, la « rencontre nationale » des cadres de l’UPC adopte le boycott des élections et l’exécution du « programme 56 en six points », avec notamment l’ « isolement et la dénonciation pertinente » des valets et mercenaires du colonialisme qui favorisaient la politique des « oppositions africaines ».
Le deuxième congrès de la JDC tenu à Kumba du 7 au 9 décembre réaffirme le boycott des élections. Dans le Sud Kamerun, l’explosion prophétisée par Moumié a lieu dès le 18 décembre : la Sanaga Maritime et le Nyong et So’o s’embrasent. Malheureusement, l’exploitation opérationnelle du renseignement par les services secrets coloniaux plombe les ailes du commando qui devait opérer à l’Ouest-Kamerun, notamment en arrêtant la majorité de ses membres. Toutefois, le rebondissement de la crise Baham donne l’occasion à Martin Singap et Pierre Simo d’y déclencher l’insurrection le 10 octobre 1957. L’offensive généralisée de fin décembre embrasera toute la région et Français et Kamerunais en pâtiront.
[1] Claude Gérard est une résistance française. Prisonnière de la Gestapo nazie, elle a la vie sauve de justesse à la libération de Limoges (France). Elle participe à l’action anticolonialiste dès 1948. Pour plus d’informations, voir son livre : « Les pionniers de l’indépendance », Editions Intercontinents, 1975.
[2] ANY, APA 11537, Lettre de Félix-RolandMoumié à Mlle Claude Gérard, Douala, le 21 avril 1956.
[3] Ibid.
[4] Lire Jacob Tatsitsa, « UPC, tensions sociales et guerre révolutionnaire dans la subdivision de Mbouda », Université de Yaoundé I, Mémoire de Master, 1997.
NB:(Texte inédit daté du 1er novembre 2007)
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